Provoquer le changement

L’institution financière de demain

Le secteur des services financiers du Canada s’est valu l’admiration de tous au cours des dernières années pour sa gestion prudente, son excellent rendement et sa capacité à affronter les intempéries économiques. Les institutions financières canadiennes continueront de miser sur ces qualités au cours des prochaines années, mais cela sera-t-il suffisant?

Les profits record laissent entendre que tout va pour le mieux pour les banques canadiennes, et lorsqu’on les compare à leurs pairs, c’est vrai. Or, ces annonces de profits masquent un fait bien réel; à moins d’un grand changement, les banques ne pourront plus continuer de réaliser de tels rendements. Examinons ce qui suit :

  • Une croissance économique obstinément faible;
  • Des coûts associés au capital et à la conformité réglementaire qui ne cessent d’augmenter;
  • L’endettement des ménages, à des sommets historiques, incite à contenir les dépenses;
  • Le resserrement du crédit hypothécaire entrave l’accès au marché immobilier canadien très élévé. Par conséquent, il ne sera plus le moteur de croissance lucratif qu’il a déjà été.

Entre-temps, le portrait financier est lui aussi en train de changer. De nouveaux joueurs font leur apparition sur le marché : des détaillants, des entreprises de télécommunications et, tout particulièrement, des entreprises technologiques. Ils amènent une réflexion, des produits et des services novateurs et perturbateurs; ils sont déterminés à gagner des parts sur des marchés de pointe mal desservis, surtout celui des paiements mobiles en pleine émergence.

Pour les institutions financières traditionnelles, le risque ne réside pas seulement dans le fait que ces nouveaux entrants gagneront quelques parts d’un marché lucratif, mais surtout dans la façon de le faire qui les laissera en dehors de ce nouveau marché. Dans ce contexte, les banques et autres institutions financières canadiennes ne peuvent pas se permettre d’être trop confiantes. La prudence qui a soutenu le secteur pendant si longtemps ne suffira plus dans un marché qui évolue rapidement.

Pour réussir, les institutions financières doivent trouver des moyens de collaborer avec de nouveaux partenaires non traditionnels. Elles devront également réagir rapidement et se permettre de prendre des risques et à l’occasion faire de faux pas. Autrement dit, ces mêmes qualités qui les ont toujours aidées entraveront leur capacité à livrer bataille dans ce nouveau contexte.

La nouvelle norme en matière de services financiers
Le comportement du consommateur a changé du tout au tout en raison de l’évolution rapide de la technologie numérique et mobile. Les attentes du consommateur d’aujourd’hui sont façonnées par son expérience auprès d’autres secteurs, notamment le commerce au détail. Le client veut :

  • Une attention et un service personnalisés;
  • Effectuer ses opérations rapidement et facilement;
  • Pouvoir choisir le moment, le lieu et la façon d’interagir avec ses fournisseurs de services.

Ces changements de comportement ont encouragé les détaillants, les sociétés technologiques et les entreprises de télécommunications à élargir leurs relations en offrant à leur clientèle des services financiers. Mais ce n’est pas tout. La principale raison qui explique la venue de ces nouveaux joueurs sur ce marché est fort simple: il y a de l’argent à faire

Ces entreprises doivent généralement composer avec de faibles marges et les défis posés par les hausses et les baisses du cycle économique de leur propre secteur d’activité. En revanche, les services financiers sont un marché à profit qui offre des marges élevées, et de loin plus élevées dans bien des cas. Il s'agit d'un secteur qui, en comparaison, est protégé contre les fluctuations.

Certains avancent que ces nouveaux joueurs qui ne sont pas soumis aux mêmes restrictions réglementaires envahiront le marché et se substitueront même aux sociétés de services financiers traditionnelles. D’autres estiment qu’il y a peu de choses à craindre. Entre ces deux extrêmes existe un argument plus plausible : ces nouveaux joueurs vont très certainement renverser le statu quo. Les banques auront plus de difficulté à croître, à moins qu’elles ne prennent rapidement des mesures fermes.

Comment ces nouveaux joueurs y parviendront-ils? En offrant une meilleure expérience client et en saisissant les meilleures occasions de croissance prometteuses avant les banques et les autres sociétés traditionnelles.

Le champ de bataille
Ce nouveau paysage concurrentiel apportera son lot d’écueils au cours des prochaines années. Ces entreprises et les sociétés de services financiers traditionnelles s’affronteront très souvent pour des créneaux négligés ou mal desservis, comme les prêts spécialisés et les assurances.

Qui plus est, la concurrence sera particulièrement féroce dans le segment des paiements, alors que les nouveaux venus accourent pour saisir les parts de marché et que les sociétés traditionnelles tentent de protéger leurs acquis. Les enjeux sont importants : les paiements, surtout les cartes de crédit, constituent environ plus d’un tiers de la rentabilité des banques. Un autre enjeu dans la bataille pour obtenir le marché des paiements concerne les données. Pourquoi?

  • Les données sur les clients et l’information qu’elles recèlent sont essentielles à l’offre d’une expérience ciblée en tout temps et qui, de plus, est adaptée aux demandes du consommateur d’aujourd’hui.
  • La perte des parts de marché au profit de nouveaux joueurs et les nouveaux outils de paiement qu’ils offrent signifient que les banques pourraient perdre leur accès aux données importantes sur leurs propres clients.
  • Cette concurrence gênera les efforts des banques à mieux cerner les besoins de leurs clients et à générer une croissance des revenus rentable.

Relever le défi
Nous sommes d’avis que les sociétés traditionnelles canadiennes devraient miser sur les stratégies suivantes :

Le calme dans l’incertitude
La prudence a très bien servi le secteur des services financiers du Canada au cours des dernières années, en lui permettant d’offrir sécurité et stabilité dans les bonnes périodes comme dans les mauvaises. Toutefois, ces mêmes qualités freinent les efforts d’innovation dans un marché qui évolue rapidement. Un changement de mentalité est donc nécessaire pour prendre des risques calculés et, à l’occasion, échouer.

Innover plus rapidement... et avec un peu d’aide
Les sociétés de services financiers du Canada ont toujours tout fait elles-mêmes en gardant la main mise sur les projets et les produits, du début jusqu’à la fin. Or, cette approche a toujours débouché sur des cycles de développement très longs et des produits dépassés dès leur lancement.

Ces sociétés doivent donc adopter une nouvelle démarche à l’innovation pour :

  • Développer, tester, modifier et lancer de nouveaux produits et services beaucoup plus rapidement;
  • S’habituer à lâcher prise et permettre à des intervenants externes de diriger le processus d’élaboration de produits et de services au nom de la société.

Penser comme une société de capital-risque
Il est pratiquement impossible de prédire la réussite finale d’un nouvel outil ou d’un produit. Cependant, nous croyons que les banques et autres institutions devraient miser sur plusieurs petits projets, plutôt que de placer tous leurs œufs dans un même panier. Elles répartiraient ainsi le risque et augmenteraient leur chance de réussite. Les sociétés ne réussiront pas toutes, mais certaines d’entre elles gagneront GROS.

Conclure des alliances avec les nouveaux joueurs
Les partenariats seront au cœur même de ce nouveau cadre où l’apport de chacun, autant des sociétés traditionnelles que des nouveaux venus, sera important.

  • Les nouveaux joueurs amènent un vent de fraîcheur et de nouvelles technologies, et ne sont pas soumis aux mêmes restrictions réglementaires que les sociétés déjà établies.
  • Par contre, ces mêmes sociétés se targuent d’avoir un énorme capital client et une profonde connaissance de leurs clients, et les Canadiens leur font encore confiance.

Le travail de collaboration avec des partenaires non traditionnels nécessite évidemment une renonciation d’une partie du contrôle que les sociétés traditionnelles ont l’habitude d’avoir. Pour que ces partenariats fonctionnent efficacement, il est important que les parties définissent très clairement leurs objectifs et leurs exigences qui serviront à fixer les limites du développement de tout produit ou service.